Procès fictif de la justice et de l’Etat belge organisé à l’ULB par l’ASM, à l’occasion des 10 ans de l’alerte lancée en 2015 par l’ensemble du monde judiciaire
21 March 2025
Droit pénal général
10 minutes de lecture

Procès fictif de la justice et de l’Etat belge organisé à l’ULB par l’ASM, à l’occasion des 10 ans de l’alerte lancée en 2015 par l’ensemble du monde judiciaire

Réquisitoire du Procurer général, interprété par Jean-Pierre Buyle

Mon office poursuit les accusés, en qualité d’auteurs, coauteurs ou complices, au sens de l’article 66 du Code pénal, de ne pas avoir respecté l’Etat de droit :

J’accuse la justice :

  • de ne pas respecter les délais raisonnables dans son action de juger ;
  • de ne pas veiller à une organisation professionnelle de son action ;
  • de multiplier les disfonctionnements de nature à porter atteinte aux droits des justiciables et au procès équitable.

J’accuse l’Etat belge :

  • De ne pas mettre les moyens humains et financiers suffisants à la disposition de la justice ;
  • De ne pas respecter la loi : traitements inhumains et dégradants et surpopulation carcérale, non respect des cadres légaux dans la magistrature… ;
  • De ne pas respecter les jugements prononcés par le pouvoir judiciaire (en ce qui concerne les demandeurs d’asile, les prisonniers, les cadres dans la magistrature, les nuisances sonores des survols aériens ou dans les affaires Nizar Trabelsi ou Salah Abdeslam…).

Je requiers d’appliquer la loi pénale et de déclarer les accusations établies.

Madame la Présidente

Madame, Monsieur les juges assesseurs

Mesdames, Messieurs les membres du jury

L’acte d’accusation est lourd. Très lourd.

Les accusés ont chacun un casier judiciaire bien rempli de condamnations graves.

On se baisse et on ramasse des délits à la pelle.

Mes griefs sont très précis à l’égard de la justice. Ils sont aux nombres de 3 : les délais déraisonnables, la désorganisation pathétique et les dysfonctionnements.

1. Les délais d’abord. (carton 3, sous farde 1 à 10)

Trop souvent, le temps de la justice n’est plus celui des justiciables.

Les dépassements des délais raisonnables sont devenus insupportables.

Combien de procès, la justice ne nous a-t-elle pas volés ? Une justice différée est toujours une justice déniée.

Combien d’affaires ont-elles été des déroutes judiciaires ?

Rappelez-vous les prescriptions dans l’affaire Fortis ou le dossier de l’explosion de la rue Léopold à Liège pour ne prendre que ces deux exemples. (carton 3, sous farde 2)

Voyez maintenant à la Cour d’appel de Bruxelles où une chambre civile a décidé de grève comme à la poste ou à la SNCB...

Dans le rapport d’évaluation du Conseil de l’Europe 2024, la Belgique se montre une nouvelle fois en surpoids par rapport à ses voisins de l’Union, tant en matière civile qu’en matière pénale ou administrative.

Alors que l’Etat doit veiller à ce que la cause de toute personne soit entendue dans des délais raisonnables, la justice belge reste en défaut. Le grief est établi.

2. La justice belge est aussi en défaut en ne veillant pas à une organisation professionnelle de son action.

Pourquoi est-il impossible à la justice de déterminer ses besoins et de dire aux autorités combien de juges sont nécessaires dans chaque type d’entité en vue de pouvoir traiter dans les délais le travail entrant (rapport du Collège des cours et tribunaux (le bras armé de la justice) du 20 février 2024, page 4. Carton 3, sous farde 3) ?

Pourquoi faut-il chaque fois se déplacer au palais de justice pour accomplir des formalités administratives qui pourraient être faites à distance : acter des calendriers, valider qu’une affaire est en état, remettre une affaire…

Combien de fois un justiciable doit-il comparaitre en matière pénale devant la Cour d’appel et devant la chambre des mises en accusation avant que son affaire ne soit retenue ? Pourquoi oblige-t-on encore les parties à recourir au papier pour le dépôt de nombreux actes de procédure ou pour la consultation des dossiers, ce qui implique des déplacements couteux et inutiles ? Le recours au numérique ne devrait-il pas être la règle ?

3. Je mets enfin en cause les dysfonctionnements de la justice, de nature à porter atteinte aux droits des justiciables et aux procès équitables.

Au début de cette année, l’Etat belge a été déclaré responsable du viol et du meurtre de Julie Van Espen par le Tribunal de première instance de Bruxelles (carton 4, sous farde 1). Le ministre de la Justice a présenté des excuses à la famille pour les erreurs commises par le système judiciaire et la responsabilité que la justice porte dans la mort de la petite Julie.

Ce dossier avait été constamment reporté par la Cour d’appel d’Anvers.

Rappelez-vous aussi l’affaire Abdeslam Lassoued (carton 4, sous farde 2). Cette attaque terroriste d’octobre 2023 a coûté la vie à 2 supporters suédois venus assister à un match de football. Le ministre de la Justice a démissionné suite à une erreur grossière et inacceptable commise par un magistrat qui n’avait pas donné suite à une demande d’extradition tunisienne. Le dossier était resté dans une armoire sans que personne ne s’en aperçoive.

Le Conseil supérieur de la justice a prudement qualifié la faible culture de maitrise (contrôle) interne de dysfonctionnement. Une enquête disciplinaire a été diligentée à l’encontre du magistrat et de sa secrétaire. Aucune sanction n’a été prononcée. C’est de l’entre soi.

Rappelez-vous le fiasco de l’affaire Nicolas Theodorou où le dossier répressif a pris l’eau dans les caves du palais. Le dossier était devenu illisible : cela portait atteinte au droit à un procès équitable dans le chef de l’accusé. Le président de la Cour d’assises du Hainaut a déclaré les poursuites irrecevables et a constaté l’état déplorable, indigne d’un Etat de droit, dans lequel se trouvait le dossier répressif et de procédure placé sous la garde de la justice.

Ces quelques exemples documentés et démontrés par un lourd dossier ne sont pas des arbres qui cachent la forêt, Madame la Justice. Ce sont des forêts dont les gardes forestiers ne prennent pas soin. L’austérité et l’état de nécessité qui vous seront plaidés ne peuvent pas justifier ces manquements coupables.

Juges, chers collègues, remettez-vous en question ! Arrêtons la victimisation.

J’en viens alors aux infractions commises par l’Etat belge.

Il n’y a pas d’Etat de droit dans les sociétés où les droits humains et la démocratie ne sont pas protégés. Je m’inscris en faux contre les propos de ce ministre de l’Intérieur qui a déclaré que l’Etat de droit, ce n’est pas intangible ni sacré.

Je m’insurge contre la déclaration de ce vice-président d’Etat, pour qui « Les juges ne sont pas habilités à contrôler les pouvoirs légitimes de l’exécutif ».

Le respect de l’Etat de droit est une valeur inscrite à l’article 2 du Traité de l’Union européenne.

Si la Belgique est un Etat de droit qui se respecte sur plusieurs plans, nous devons constater que les évolutions récentes ne sont pas très bonnes.

« Des mesures supplémentaires sont nécessaires en ce qui concerne notre système judiciaire » lit-on dans le dernier rapport annuel de la Commission européenne sur l’état de droit de l’Union européenne publié le 25 juillet 2024.

Plusieurs rapports constatent que notre pays a décliné sur le plan de l’état de droit : celui du réseau européen des institutions nationales des droits humains du 2 mai 2024, le rapport de l’ONG World Justice Project 2024.

Avant-hier, le rapport Libertés Etat de droit (qui revoit 43 organisations de défense des droits de l’Homme) relève que la Belgique est en « glissement » avec des baisses inquiétantes dans les indicateurs de l’Etat de droit.

1. Je reproche à l’Etat de ne pas mettre les moyens humains et matériels suffisants à la disposition de la justice.

Par jugement du Tribunal de première instance de Bruxelles du 13 mars 2020 et par arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles du 6 novembre 2023, la responsabilité de l’Etat a été reconnue coupable.

L’Etat belge a été condamné à respecter la loi et à remplir les cadres légaux à concurrence de la totalité des effectifs légalement fixés pour chaque juridiction.

L’Etat belge vous dira tout à l’heure que le cadre légal est devenu inadéquat. Soit. La Cour d’appel a rejeté ce moyen en rappelant qu’il incombait au pouvoir exécutif, dans un Etat de droit, de respecter les lois et ses propres règlements et de soumettre au législateur une loi destinée à le modifier ou l’abroger.

Je ne m’appesantirai pas ici sur l’état déplorable de plusieurs palais de justice (Nivelles, Namur, Mons) où le manque d’outils et de matériel de bureau adéquat. Aujourd’hui une justice doit choisir entre du papier A4 ou du papier toilettes. C’est l’un ou l’autre. Les conditions de travail voulues par l’exécutif y sont indignes du troisième pouvoir. Les plafonds s’écroulent, quand il pleut dehors, il pleut dedans.

2. J’accuse l’Etat belge de ne pas respecter ses propres lois.

Vous ne respectez pas les justiciables les plus faibles : les enfants mineurs dans les centres fermés, les demandeurs d’asile ou les prisonniers, pour prendre 3 exemples.

Récemment, le journal Le Monde titrait « En Belgique, l’état des prisons tourne à la catastrophe nationale. Surpopulation, bâtiments délabrés, carences des services de santé, manque de personnel : la situation des détenus empire en dépit des rapports accablants ».

A des très nombreuses reprises et encore récemment par une décision du 18 février 2025, la justice a constaté les manquements de la Belgique à l’Etat de droit que ce soit dans les prisons de Bruxelles, de Liège, de Mons ou d’Anvers.

Le constat est récurrent. Nos prisons sont devenues des lieux de l’indignité. Doit-on donner raison à Michel Foucault qui disait que « Le châtiment est passé d’un art de sensation insupportable à une économie de droits suspendus ».

L’encombrement des prisons ne devrait pas être une fatalité. Dans d’autres pays comme aux Pays-Bas, en Suède ou en Allemagne, on a fermé des prisons et on a intégré une réelle politique de réinsertion.

Je reproche enfin à l’Etat belge de ne pas respecter les jugements prononcés par le pouvoir judiciaire.

Je pourrais citer le jugement concernant les cadres ou les prisons auxquels je viens de faire allusion.

Je pourrais parler des jugements en matière de nuisances sonores des survols aériens aux aéroports.

Je pourrais parler des arrêts de la Cour d’appel de Bruxelles violés par l’Etat dans les affaires Salah Abdeslam ou Nizar Trabelsi.

Plus de 10.000 jugements condamnant la Belgique en matière d’accueil des demandeurs d’asile n’ont pas été exécutés, que ce soient des condamnations belges ou venant de Strasbourg.

Les tribunaux ont précisé que ces défauts d’exécution étaient inacceptables dès lors qu’ils mettaient en péril une des bases fondamentales de l’Etat de droit.

Face à ces condamnations, un membre du gouvernement s’est borné à déclarer que sa politique ne changerait pas, car il n’en avait pas les moyens.

Ce propos est une insulte à la justice.

Madame la Présidente,

Madame, Monsieur, les juges assesseurs,

Mesdames, Messieurs les membres du jury,

Face à cet estompement récurrent de la norme par nos autorités.

Face à l’exercice déviant d’un pouvoir souverain.

Je vous demande de ne pas faire de la politique.

Je vous demande d’appliquer la loi, de faire en sorte que l’Etat de droit ne devienne pas un état de faiblesse.

Je vous demande de déclarer coupable la justice et l’Etat belge des accusations portées contre eux.

J’ai dit.

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